Commémoration du 11 novembre 2023

Expression de Fabien Gracia, Maire.

Une commémoration s’inscrit dans une logique de mémoire avec cette idée qu’il ne faut pas oublier les atrocités passées pour ne pas avoir à les revivre.

Toutefois, il y a parfois au fond de moi un sentiment flou et désagréable de partialité intellectuelle.

Je m’explique. Nous célébrons les victoires mais pas les défaites. Nous célébrons l’armistice du 11 novembre mais pas la défaite de Sedan. Dans notre travail de mémoire, nous sommes hémiplégiques. Et, y compris dans les célébrations des victoires, il y a une tendance à ne mettre en valeur que les actes honorables voire héroïques.

Cette partialité nuit à mon sens au devoir de mémoire, qui n’a de vertu citoyenne qu’à la condition de l’honnêteté intellectuelle.

Cette introduction m’est venue en préparant cette commémoration. J’ai en effet découvert l’histoire de cet armistice du 11 novembre, plus spécifiquement des 4 jours qui l’ont précédés. Je voulais vous partager quelques éléments de cette histoire rocambolesque mais surtout pleine de rancœurs, d’humiliations et de manipulations.

À l’été 1918, le haut commandement allemand sait que la guerre est perdue. Toutefois, pour que l’armée ne soit pas jugée responsable de la défaite, Hindenburg, chef d’Etat major du Reich et Ludendorff, le chef des armées, vont s’arranger pour missionner un civil : le ministre Matthias Erzberger. C’est le pouvoir civil qui signera l’armistice. C’est le pouvoir civil qui assumera la défaite.

J-4 : 20h20, le 7 novembre 1918, la voiture arborant le drapeau blanc qui emmène le ministre franchit la ligne de front. Le capitaine français présent à cet endroit claironne le cessez le feu. Dans la soirée, un diner est servi : du jambon, du pain blanc, des petits poids, du vin. Le soldat français présente ce repas comme un maigre souper alors qu’au même moment, en Allemagne, la famine est là. La population mange des soupes d’orties et du pain noir. Derrière cette scénographie, l’objectif est de marquer le coup de la défaite allemande.

Plus tard, dans le train qui emmène le ministre jusqu’à la clairière de Rethondes, se trouve une bouteille de Cognac. Le choix de la cuvée ne doit rien au hasard. Avec cette bouteille estampillée 1870, c’est la défaite de Sedan et surtout l’humiliation subi par la France du défilé des prussiens dans Paris que les organisateurs de cette mise en scène veulent rappeler au représentant allemand.

J-3 : le 8 novembre, le maréchal Foch présente les conditions de l’armistice et laisse 72h au ministre pour signer. Dans le même temps, la révolution embrase l’Allemagne : les marins de Kiel se mutinent, des soviets se mettent en place. Le chancelier allemand est remplacé par le socialiste Hebert et l’empereur Guillaume II abdique le 9 novembre.

J-2 : dans la clairière de Rethondes, le maréchal Foch apprend ces évènements à Erzberger questionne : que vaut la signature d’un représentant d’un régime déchu maintenant que l’empire est tombé et qu’un nouveau chancelier est élu ? C’est pourtant bien Matthias Erzberger qui signera l’armistice.

J-1 : 10 novembre, 22h30, le maréchal Foch transmet un message dans lequel il est indiqué qu’Erzberger doit signer. Bien que présenter comme venant de la chancellerie allemande, ce message n’est pas signé du nouveau chancelier car il vient de l’état-major allemand. C’est en quelque sorte un faux. Pour autant, c’est sur la base de ce message qu’Erzberger va signer. 

J : malgré le changement de régime en Allemagne, malgré le courrier non signé du chancelier, malgré les mises en scène, il est 5h12 ce 11 novembre 1918 quand la convention d’armistice met fin aux combats.

22 ans plus tard, c’est à nouveau une mise en scène visant le rabaissement du perdant qui sera construite pour la signature de l’armistice du 22 juin 1940. Hitler choisira ce même wagon de Rethondes, cette même clairière de la forêt de Compiègne. Pour marquer sa vengeance jusqu’au bout Hitler posera cette question : « où c’est assis Foch ? ».

Le défilé des prussiens dans Paris après la défaite de Sedan de l’armée française en 1870, le rappel de cet évènement avec la bouteille de Cognac cuvée 1870 en guise de bienvenue en novembre 1918, la réplique d’Hitler en 1940… Après la fin de la seconde guerre mondiale, certains ont su mettre fin à ce cycle mortifère de rancœur, de vengeance et d’humiliation.

Vengeance, rancœur, humiliation, l’histoire n’est pas toujours belle, celle des guerres ne l’est probablement jamais.

Actualité publiée le jeudi 16 novembre 2023